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Un village du nom de Mirnoïé, sur les bord de la mer Blanche. Ici, tout paraît flotter hors du temps : maisons isolées, à moitié en ruines, peuplées de veuves octogénaires dont les maris sont morts dans les combats contre le nazisme. Nous sommes au milieu des années soixante-dix. La contrée est sillonnée quelquefois par un camionneur géorgien à l'humour truculent et mélancolique, monomaniaque du sexe, mais profondément bon. Otar prend à son bord le jeune thésard venu de Leningrad, narrateur de ce récit, et entreprend son éducation sentimentale. […]
A ce moment de leur conversation, le jeune homme connaît déjà Véra, dont le mystère l'intrigue. Il l'a vue un soir d'août retirer un lourd filet de pêche plein d'anguilles dans un lac de forêt, il l'aperçoit aussi de temps en temps quand elle ouvre sa boîte aux lettres, d'un mouvement que l'usure des années n'a pas réussi à rendre machinal. Dans le corps de cette femme, un espoir continue à vibrer, cela se devine. Mais pourquoi s'est-elle enterrée ici, parmi ces vieilles ? Est-il possible d'attendre le même fiancé pendant trente-ans ? Qui la retient d'aller vivre la grande vie à Moscou ? Son cœur, ou bien le regard des autres idéalisé dans une sorte de serment légendaire pour un soldat disparu ? Si Véra se dissipait, si Véra faisait l'amour, c'est un peu comme si toute la macabre construction des valeurs sacrificielles du communisme était réduite à néant.
Il reste quinze ans avant la chute du rideau de fer. Cette histoire - celle d'une femme qui a fait de sa vie une attente infinie - est à nouveau un pur joyau. Elle pourrait avoir été écrite par Tolstoï. On dirait, à la lire, que le principal aboutissement du communisme serait l'emprisonnement du Temps : isbas inhabitées, paysages paléolithiques, et derrière toute cette rudesse qui n'attend rien, un incroyable frisson de grâce. Une chose est sûre : Andreï Makine est déjà un écrivain classique.