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Et revoilà la petite Marji… À la fin du précédent volume de Persepolis, Marjane Satrapi quittait ses parents et s'envolait pour l'Autriche, loin de la révolution islamique et de ses excès. Au moment où débute ce troisième tome, nous la retrouvons sur le sol autrichien, hébergée par des amis iraniens. Nous sommes en 1984. Marji est curieuse de découvrir cette Europe "laïque et ouverte", qu'elle espère différente de l'Iran et de son quotidien corseté par la morale et la religion. Mais elle va vite déchanter… Ballottée de famille d'accueil en foyer de bonnes sœurs – d'où elle se fera expulser pour avoir répondu un peu trop vertement à une réflexion blessante –, Marji doit surmonter la différence de langue et de culture qui rend son intégration difficile. Elle se met à lire comme une forcenée, découvre Bakounine, trouve Sartre "un peu agaçant" et se plonge dans les livres de Simone de Beauvoir. Surtout, elle expérimente la liberté à l'occidentale : la voilà qui change de look et vire "punkette" avant d'emménager avec huit colocataires masculins. Pas d'inquiétude : ils sont tous homosexuels… D'ailleurs, les mœurs plutôt libres de la civilisation européenne la laissent quelque peu perplexe, elle qui vient d'un pays "où même s'embrasser en public était considéré comme un acte sexuel". Pendant ce temps-là, son corps d'adolescente se transforme. Maintenant, c'est une adulte. Une adulte tellement changée que sa maman venue lui rendre visite ne la reconnaît même pas à l'aéroport… Évidemment, elle connaîtra une histoire d'amour – qui finira mal, comme de juste. Et les dernières pages du livre montrent une Marji à la dérive, loin de chez elle, de sa culture et de ses repères familiers. Décidément, il est temps de rentrer en Iran… "Et tant pis pour mes libertés individuelles et sociales", conclut Marji en contemplant dans le miroir son beau visage meurtri par l'expérience, les privations et les soucis. Le lecteur, lui, devra attendre le quatrième volet de Persepolis pour connaître le dénouement de cette épopée…
Ce troisième tome de l'autobiographie de Marjane Satrapi est évidemment moins "exotique" que les précédents. Le cadre du récit, l'Autriche, est forcément moins riche en surprises et en découvertes. La dimension politique passe quelque peu au second plan. Certes, elle n'est pas pour autant absente : le récit de la tentative d'intégration d'une jeune Iranienne et des blocages qu'elle doit surmonter pose, lui aussi, des questions d'ordre politique. Mais la petite Marji se révèle moins lucide et moins impliquée que pendant ses premières années en Iran. À tel point qu'elle discerne mal la nature du régime du président autrichien Kurt Waldheim, se montrant même assez peu concernée par les manifestations étudiantes, elle qui bouillait de colère et d'engagement pendant sa jeunesse iranienne. Il faut dire qu'elle a fort à faire avec sa vie personnelle : rattrapée par l'entrée dans l'âge adulte, les interrogations liées au corps et les émois amoureux, les choix de société passent quelque peu au second plan. Et la lutte quotidienne pour se faire accepter par une nouvelle culture ne prédispose pas forcément au militantisme forcené… Perturbée et isolée, Marji a peut-être un peu perdu de sa virulence et de son esprit contestataire. Son sens de l'humour, mis à mal par les difficultés quotidiennes, en prend parfois un coup. Mais heureusement, son indépendance d'esprit reste toujours aussi vivace. Ce qui nous vaut quelques scènes réjouissantes, comme celle de son renvoi fracassant de la pension tenue par des sœurs… Le lecteur fan de Persepolis peut se rassurer : on ne lui a pas changé Marji… --Philippe Actère